Le plan c’était de découvrir le Faubourg Marigny au-delà de Freshmen Street. On a d’abord commencé par faire le Musée de la culture backstreet où on nous a fait faire le tour des deux pièces de ce petit musée consacré aux festivités typiquement blacks de la Nouvelle-Orléans.
La première salle est consacrée aux Indiens de Mardi Gras ! Faut pas voir des premières nations ou des amérindiens, faut plutôt imaginer un costume à plumes et paillettes percé d’un petit trou dans lequel un mec pas indien du tout va passer la tête pour chanter « Iko ! Iko ! Jock-a-mo Fee No Nay ».
On pourrait écrire des romans sur les Mardi Gras Indians et certains le font. C’est un des trois trucs que je voulais absolument voir. Je savais bien que ça serait pas possible, parce que pas vraiment la saison, mais voir les costumes entreposés là et écouter les explications d’un vrai Indian c’était déjà pas mal. Je dirais que pour comprendre le truc on peut commencer par mater Tremé évidement ou taper dans le vraie avec le doc Bury the Hatchet (mais bonne chance pour le trouver).
La deuxième salle est consacrée aux Social Aid & Pleasure Club (clubs d’aide social et de plaisirs). Ce sont ces clubs qui te permettent d’enterrer dignement tes proches et de recevoir un peu d’aide quand t’es dans la merde. Ce sont ces clubs qui dansent en costume de pimp un dimanche par an lors de leur second line d’anniversaire.
Et au bout de la salle, on parle des Jazz Funerals, le troisième truc que j’aurais aimé voir en vrai. Tout le monde peut se pointer à une jazz funeral, en tout cas la procession dansante qui suit l’inhumation. Mais malheureusement, on en a pas croisé dans la rue, donc pas de funérailles jazzy pour Bibi.
Pour faire court, faut imaginer le principe de la second line, avec des croquemorts qui glissent lentement un pied devant l’autre au rythme du brass band qui suit. Et puis le monde derrière, des orphelins, des veuves, des voisins, des touristes qui chantent, qui dansent, qui enveloppent le défunt de toute leur humanité et poussent sa mémoire dans toutes les rues du quartier. J’aurais bien aimé vivre ça. Sinon, il y a toujours de vidéos comme celle-là ou celle des funérailles d’Allen Tousaint.
Après le Backstreet Museum, on a filé à vers le Faubourg Marigny aux abords du quartier de Saint Roch. On s’est posé dans un café « Fair Grind » où l’on a pu constaté que l’esprit hipster d’ici, à certains endroits, est resté bloqué à son état d’expérimentation. Le café hipster n’est pas décoré de blanc et de doré mais simplement équipé de meubles pourris à la peinture écaillée, comme dans notre bon vieux Mile-End du début des années 2010. C’est vraiment reposant de retrouver l’esprit libéré des débuts du « mouvement » avant qu’il ne soit repris par une clientèle avide de codes et de convenances — blanches et dorées.
On a poursuivit le long de l’avenue Saint Claude jusqu’au New Orleans Healing Center, une sorte d’espace communautaire slash mini-mall où cohabitent une clinique alternative, des magasins de craft, un club de sport, un café et une galerie d’art qu’on a pu arpenter tranquillement en écoutant la musique fitness qui suintait du couloir. Dans la galerie : justement des photographies très « backstreet » avec des second line, des mardi gras indians, des jazz funeral et autres joyeusetés locales tellement loins des pastiches du vieux carré.
Ensuite on arpenté toujours plus de rues tranquilles bordées de cottages créoles jusqu’à Frady’s One Stop Food Store ! Un Deli tout petit avec quelques tables jetées au hasard de sa galerie jaune délavée. Chez Frady tu manges, dans une belle boîte styromousse, une plâtrée pour 7,5$. C’est quand même assez connu, en tout cas dans les guides, mais toujours aussi modeste et déglingué.
Un couple de vieux blancs s’active derrière la banque froide et chaude en accueillant aussi gentiment les accoutumés déterminés que les touristes indécis.
Pendant qu’on choisissait notre bouffaille, une habituée plus maigre que mon doigt est rentrée en saluant tout le monde. Elle avait trouvé un travail ! Applaudissements du patron et des clients qui attendaient leur sandwich. La petite black, après avoir scruté ce qui restait derrière la vitre dégoulinante, trouva de quoi et, serrant ses points mal manucurés cria à nouveau « I got a job !». Elle paya puis sortit comme elle était venue. Deux petits blanc du deuxième mouvement hipster sont rentrés, paniqués, en demandant à tout le monde à qui était le vélo dehors, un mec venait d’emporter la selle ! Oh putain, surprise de la tenancière, haussement d’épaule de toute la file, puis la black qui rentre juste sa tête dans le bouclar pour rassurer tout le monde : c’était son vélo au gars ! Vérité ou solidarité des locaux contre un con de touriste qui laisse traîner son beau vélo ? On ne le saura jamais, mais la tête des deux émotifs quand la patronne s’est foutu de leurs gueules valait toutes les selles du monde.
Une fois sur la terrasse, j’ai mangé… côtelettes et dirty rice (un riz cajun) avec salade de patate et haricots verts. Miam miam mes 7,5$.
On a poursuivi la balade dans le quartier. C’est là qu’on a vu le plus de « X Code ». Ce sont des graffitis posés sur les maisons par les équipe de secours après Katrina. Un gros X avec des codes dans chaque branches qui permettait de savoir rapidement si la maison avait déjà été fouillée ; combien de personnes y avaient été trouvées, vivantes ou mortes ; et les dangers qui pouvaient rester à l’intérieur. Ça évitait de fouiller une baraque deux fois, et de te retrouver pris dans une mer de rats.
Chacun, peu importe sa classe, a retrouvé une de ces croix sur sa maison. Alors quand il y a inscrit le nombre de tes morts dessus, t’as pas forcément envie de voir toute l’Amérique s’en tapisser la feed Instagram. Pourtant ç’est devenu un symbole artistique, et sans en chercher on voit encore quelques une de ces cicatrices. Certaines originales peintes à la bombe ou d’autres reproduites de façon plus ou moins artistique.