Le vieux carré qu’ils prononcent tant bien que mal « vou qeurè » est aussi appelé le French Quarter. C’est un rectangle adossé à un coude du Mississippi et qui forme la vielle ville. La vieille ville, comme partout dans le monde, c’est la zone hautement touristique du coin. Et comme ici tout le monde te dit que le reste de la ville est dangereux ou ne vaut pas le coup ben des millions de couillons se retrouvent bloqués dans l’enceinte du French Quarter. Comme on s’y attend, il est jonché des ces détails mercantiles si peu authentiques qui nourrissent les besoins bien plates des touristes.
La ligne entre authentique et touristique est d’ailleurs difficile à tracer ici tant le folklore américain a voulu s’approprier ce quartier pour vendre à peu près n’importe quoi. Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ? Qu’est-ce qui est l’image attendue de la culture néo-orléanaise et qu’est-ce qui est la véritable culture néo-orléanaise ? Suis-je à la Nouvelle-Orléans ou dans un land Disney thématisé vieux carré ?
Parlons-en de Disneyland, des fois que ça illustrerait un peu mieux mon propos. En fait, mes premières sensations d’exotisme, et on peut mettre ça sur une personnalité blasée, ou une méfiance innée, je ne sais pas, mais en tout cas, mes premiers souvenirs de tourisme stimulant, je les ai vécu à Disneyland Paris.
Ha ha, drôle ! On rigole.
Ben oui, c’est un peu couillon mais comme aurait pu l’être un voyage lointain, c’est un tournant de ma vie ce Disneyland des mes 13 ans : c’est ma fascination pour les U.S.A, et donc l’origine de mon bilinguisme, et de ma vie, aujourd’hui en Amérique du Nord.
Mon admiration pour les États-Unis, j’en suis revenu assez vite, mais la fascination jamais. Et encore aujourd’hui, ça reste pour moi un être que je connais très bien, pour qui j’éprouve une sincère empathie, et que j’observe, lui et sa détresse, détruire nonchalamment tout ce qu’ils touchent. Et comme il n’y a que lui qui peut se sauver, ben, comme le reste du monde, je le regarde mourrir devant moi, avachi sur son porche avec sa casquette rouge et ses rêves d’ancien temps.
Bref, pour en revenir à Disney, énormément d’architectures, de cultures, de panoramas américains, je les ai découverts sous les traits édulcorés d’un parc à thème. La Nouvelle-Orléans n’y échappe pas. Et il est évident que depuis que l’imaginaire Disneyique de la culture américaine a popularisé ses colonnades, ses devantures créoles, ses lanternes au gaz, son jazz et ses cimetières, la ville s’est empressée de recouvrir de ce filtre naïf son quartier le plus populaire.
Alors, le French Quarter, sous ses traits Disney rassurants, ses rires de touristes bruyants, ses daikiris à la fraise dans des verres en plastique, m’éloignent un peu de l’authenticité que je recherche maintenant quand je visite autre chose qu’un parc Disney.
Mais alors c’est quoi le French Quarter et sa vraie-fausse culture ? C’est principalement deux types d’architectures, espagnoles et créoles. Les Français ont bien occupé le coin pendant l’émergence de la ville, mais la déculottée infligée par les Anglais leur feront perdre la plupart de leur « Nouvelle » France. Et comme les Anglais ont immédiatement refilé le paquet à l’Espagne — qu’en avait gros d’avoir perdu la Floride — ce sont les Espagnols elle qui façonneront la ville moderne et la reconstruire entièrement après plusieurs feux. Si bien qu’il reste pas grand chose de français si ce n’est le tracé des rues. Et c’est pas les trois ans entre la reconquête de la Louisiane par Napoléon et sa revente aux USA qui ont effacé l’influence hispanique…
Ce qui explique que les célèbres galeries en fer forgées soient espagnoles et que les facades bien connues avec des porte-fenêtres colorées soit hispano-créoles. Ils appellent ces dernières des maisons créoles. C’est difficile de vraiment retracer leur origine, mais disons que le Sud-Est des US en a pas mal et que la Nouvelle-Orléans en est bourrée. C’est généralement un toit en V dont la crête est parallèle à la rue et un mur clair avec quatre ouvertures identiques qui donnent directement sur le trottoir ou sur un porche. En revanche y en a pas mal qui n’ont de créole que la façade.
C’est donc ça le vieux carré. Des touristes qui évoluent dans un décor édulcoré et retravaillé pour s’adapter à la culture re-packagée, facile à vendre, dont on a enveloppée tout le quartier. Et le plus triste c’est que cette culture polissée déborde du French Quarter ! Elle n’atteint pas que les touristes et les gentrificateurs, pour pas que ça fasse trop salle, on cache aussi les pauvres derrière. Après Katrina, la ville, bien contente de voir tous ces pauvres relocalisés aux quatre coins du pays, en a profité pour raser complètement ses logements sociaux. Ils n’avaient pas été inondés, juste abandonnés par leurs occupants. Mais on s’en fout, on les ferme en prétextant de l’insalubrité, on revient après cinq ans constater cette fois une véritable insalubrité (tu m’étonnes, cinq ans !) et on rase. Et ce qu’on a construit à la place a tout d’un hotel Disney. Une petite ville sur le thème de la Nouvelle-Orléans des guides touristiques.
C’est chouette, ça choque pas les touristes dans leurs Uber (nous). Pis ça doit bien aider l’ego de ceux qui vivent dedans tiens ! Se faire servir cette Louisiane de pacotille alors qu’on refuse de t’intégrer à la vraie depuis 300 ans.
— Pour pas choquer les privilégies, voulez-vous bien vous déguiser comme ils aiment ? Pis on arrête les barbecues, merci.
C’est un peu comme si nos pauvres issus de l’immigration, on les parquait dans des jolis villages d’Astérix…