Nouvelle-Orléans Tous les articles écrits là-bas.

Joyeux Noël.

En prévision des nombreuses fermetures festives on a planifié pour cette journée une visite urbaine avec parc public ! Alors après avoir manqué s’ébouillanter en extirpant sa soupière polystyrène pleine de thé du micro-onde à machin, Mariane et moi sommes partis en direction des quartiers Bayou St. John et City Park.

On a contemplé de nouvelles grosses maisons du quartier tout en lorgnant les potences à mangeaille. En vain, mais aux abords de Bayou St. John, on a quand même trouvé une épicerie devant laquelle se garaient en double file tout plein de joyeux, envoyés là pour choper l’ingrédient manquant du repas de Noël. Certains étaient encore en pyjama… La tradition ici, pour certains hein, c’est de rester en pyjama le jour de Noël, sans pour autant s’empêcher de sortir. Mais qui dit sortir, dit se montrer, et donc adopter un accoutrement bien visible, alors plutôt que de mettre son pyj tout souillon habituel, on se paye des pyjamas assortis, et pour toute la famille ! Donc on voit des grenouillères décorées de motifs peu originaux habiller des familles qui vont essayer les joujous déballés par le petit quelques heures plus tôt. C’est distrayant.

On a pris de quoi manger dans l’épicerie, un wrap dinde (que de la dinde bien sèche et du pain) pour Bibi et des raviolis asiat. pour Mariane et on s’est posées dans le petit parc triangulaire en face ! Le square s’appelait Fortier Park — prononcé Forchié — et on a pu y observer les moins riches du coin partager une table à pique-nique en serrant leurs cannettes de bières couvertes de papier marron.
Le parc était joyeusement décoré par les habitants qui devaient s’y réunir de temps en temps. Je pense que c’est l’endroit qui m’a fait le plus penser à Montréal. Certainement parce que les quartiers qu’on a pu habiter à Montréal pendant les sept ans qu’on y a passés étaient peuplés par le même genre de gens.
Des gens aisés, avec enfants, et dont la situation confortable leur permet d’entretenir des liens communautaires disons… ludiques.
Cette communauté se réunit alors dans un joli parc pour y poser des guirlandes lumineuses ou y projeter un classique de Noël sous les yeux attendris des grands parents. Je ne pense pas que cette communauté mérite moins de louange que celle qui se réunit dans une maison inondée pour en extirper l’héritage familiale tout gorgé d’eau croupie sous les yeux en larmes du propriétaire. Je ne pense pas que le besoin communautaire des riches soit moins important que celui des plus pauvres, je ne pense pas non plus qu’il faille opposer les comités de décorateurs de parcs aux assurances de fortune montées par les Club Sociaux évoqués plus tôt. D’ailleurs je ne doute pas que ces communautés de classes moyennes ont fait leur part après Katrina. Après tout eux aussi, pour beaucoup, ont retrouvé leur maison détruite après un exil forcé de quelques mois.
Mais évidemment ça sera toujours plus touchant de voir des gens s’unir pour sauver leur peau, plutôt que d’autres s’unir pour un besoin superficiel que seul leur insouciance financière peut engendrer: la décoration d’un parc.
Mais en tout cas c’était quand même sympa de manger dans ce parc innocent qui accueillait touristes, clodos et pyjamas locaux avec la même générosité que nos heureux Montréalais.

City Park, c’est un très grand parc plus grand que le Central Park de Manhattan. Il est bordé par le Bayou St. John (la rivière pas le quartier) et s’étend jusqu’au lac Ponchartrain. Un grand rectangle vert dont on aura couvert qu’à peine 20%. On a passé la grande porte, traversé la pelouse jusqu’au Chêne Chantant, un arbre très très gros, très très vieux et qui porte des glins glins gigantesques ! Ça fait le même bruit que les glins glins du balcon de ma mère, mais en plus impressionnant quand même.

Ensuite, on a marché le long d’un petit lac où de gigantesques cygnes transportent une famille entière de gros américains nourris à la friture locale. Il y a aussi des vrais animaux comme des hérons, des tortues, des canards et tout ce monde n’est pas farouche.

Ensuite on a longé une petite fête foraine sédentaire fermée (pour Noël ? pour toujours ?) et flanquée d’une forêt de chênes locaux. Encore une fois, faut pas imaginer des chênes à l’européenne qui forment une jolie boule parfois un peu carrée. Ici c’est des arbres qui s’étendent à l’horizontale avec des branches plus larges que la moyenne. Faut visualiser ça : une branche partir très haut, tourner à l’horizontal et voir y naître un autre arbre, aussi développé et branchu qu’un petit platane de ville, avec sa propre touffe de feuille ! Un arbre dans un arbre !
Certaines branches volent à à peine un mètre du sol offrant un grimpage débutant plutôt tentant… À ça tu rajoutes le filtre Bayou : les barbes de vieillards déjà évoquées, une écorce gorgée d’humidité que des mini-fougères rendent aussi feuillues que la canopée et les volutes tortueuses de leurs épaisses branches que quatre saisons ininterrompues de croissance moite et ensoleillée ont dessiné jusqu’au ciel.

On est resté dans ce spectacle bayoutesque certainement apprécié des locaux vu le nombre de tables à pique-nique. On a lu. On a écouté un trio d’asiatiques se prendre en photo à tour de rôle en gueulant des instructions peu amènes au modèle du moment. On a ramassé des barbes de vieillards et des glands pour que Mariane tire des rayons de soleil autour d’un vieux chêne.

Ensuite on est reparti vers l’entrée du parc par la partie ouest. Là se joue une bof bof nowel tradition. On décore les arbres avec des illuminations plutôt cheap. Des sucres d’orge néons se mélangent aux barbes d’un chêne, des chapeaux de Père Noël s’agrippent aux branches d’un cyprès, et au milieu d’une mare tu vois un grillage dégeulasse en forme de monstre du Loch Ness un peu trop festif pour être honnête.

C’était. City Park.!

On devait depuis le début du séjour manger chez Dookie Chase qui par chance se trouvait à quelques blocs de notre chez-nous. Fermeture noëliques et horaires d’ouverture serrées n’ont pas eu raison de nous et ce jour-là, dès 11h, on se tenait au bout de la queue formée dans le couloir de l’établissement. Pendant l’attente tu peux voir des photos de célébrités dont une assez mythique d’Obama qui ajuste une serviette à son cou. Évidemment qu’il a fait son petit moment Dookie, Obama. Après avoir fait campagne contre son prédécesseur et sa gestion peu inspirée de Katrina, il pouvait pas rater l’opportunité photo sur une chaise jaune et rouge.

Mais Dookie Chase c’est pas juste un repère à personnalités. L’endroit apporte plus à la Nouvelle-Orléans que n’importe quel élu local ou fédéral, et ce de deux façons. Dookie Chase c’est d’abord un des plus vieux restaurants « intégré » de la Nouvelle-Orléans. Intégré c’est le contraire de ségrégué. C’est possible dans le décor lumineux et pas toujours du meilleur goût de Dookie Chase de partager sa table avec un gars d’une autre couleur et ce depuis 1944, donc avant le mouvement des droits civiques.
Et pour cause, puisque les acteurs importants des droits civiques allaient se cacher à l’étage de Dookie Chase pour discuter des plans d’action futurs, notamment le boycott des bus de Montgomery. Contrairement aux autres repères à « Freedom Riders » bien connus des forces de l’ordre, personne osait mettre les scellés au si populaire Dookie de peur de provoquer une émeute, et les meetings allaient donc bon train.
Pourquoi si populaire ? C’est la deuxième chose : là-bas, tu peux, toute l’année (ouais sauf à Noël) profiter d’un des meilleurs buffets créolo-néo-orléanais pour moins de 20$ ! Attention, Dookie c’est pas ton fast-food graisseux où les présidents aiment se retrousser les manches, c’est un restaurant à serviettes et nappes en tissus ! Avec de l’art local tout le tour des murs et des serveurs en livrée. C’est du standing au service des classes les plus défavorisées (encore une fois moins de 20$) de la ville.
Ça veut pas dire que t’y vas tous les jours, mais ça veut dire que pour le baptême du petit, l’anniversaire de la grand mère ou les fiançailles de la grande, tu peux convier ta famille dans un des restos les plus réputés de la ville sans hypothéquer ta maison. T’ajoutes à ça le combat actuel pour le droit de vote des noirs mené par leurs fondateurs et on peut vraiment dire que Leah Chase et son défunt mari Dookie Chase Jr. se foutent pas de la gueule du quartier quand ils se disent engagés socialement.
Alors si en plus il me font du dirty rice et du poulet frit pour une bouchée de pain !

Pour la bouffe, c’est très typique d’ici et je citerai ces paroles de Nino Ferrer sur un endroit qui ressemble à la Louisiane :

On dirait le sud
des pattes et du riz
y a rien qu’est pas frit
y a rien qu’est pas sucrééééééééééé
.
.
et toujours épicés!

Le vieux carré qu’ils prononcent tant bien que mal « vou qeurè » est aussi appelé le French Quarter. C’est un rectangle adossé à un coude du Mississippi et qui forme la vielle ville. La vieille ville, comme partout dans le monde, c’est la zone hautement touristique du coin. Et comme ici tout le monde te dit que le reste de la ville est dangereux ou ne vaut pas le coup ben des millions de couillons se retrouvent bloqués dans l’enceinte du French Quarter. Comme on s’y attend, il est jonché des ces détails mercantiles si peu authentiques qui nourrissent les besoins bien plates des touristes.

La ligne entre authentique et touristique est d’ailleurs difficile à tracer ici tant le folklore américain a voulu s’approprier ce quartier pour vendre à peu près n’importe quoi. Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ? Qu’est-ce qui est l’image attendue de la culture néo-orléanaise et qu’est-ce qui est la véritable culture néo-orléanaise ? Suis-je à la Nouvelle-Orléans ou dans un land Disney thématisé vieux carré ?

Parlons-en de Disneyland, des fois que ça illustrerait un peu mieux mon propos. En fait, mes premières sensations d’exotisme, et on peut mettre ça sur une personnalité blasée, ou une méfiance innée, je ne sais pas, mais en tout cas, mes premiers souvenirs de tourisme stimulant, je les ai vécu à Disneyland Paris.
Ha ha, drôle ! On rigole.
Ben oui, c’est un peu couillon mais comme aurait pu l’être un voyage lointain, c’est un tournant de ma vie ce Disneyland des mes 13 ans : c’est ma fascination pour les U.S.A, et donc l’origine de mon bilinguisme, et de ma vie, aujourd’hui en Amérique du Nord.
Mon admiration pour les États-Unis, j’en suis revenu assez vite, mais la fascination jamais. Et encore aujourd’hui, ça reste pour moi un être que je connais très bien, pour qui j’éprouve une sincère empathie, et que j’observe, lui et sa détresse, détruire nonchalamment tout ce qu’ils touchent. Et comme il n’y a que lui qui peut se sauver, ben, comme le reste du monde, je le regarde mourrir devant moi, avachi sur son porche avec sa casquette rouge et ses rêves d’ancien temps.

Bref, pour en revenir à Disney, énormément d’architectures, de cultures, de panoramas américains, je les ai découverts sous les traits édulcorés d’un parc à thème. La Nouvelle-Orléans n’y échappe pas. Et il est évident que depuis que l’imaginaire Disneyique de la culture américaine a popularisé ses colonnades, ses devantures créoles, ses lanternes au gaz, son jazz et ses cimetières, la ville s’est empressée de recouvrir de ce filtre naïf son quartier le plus populaire.
Alors, le French Quarter, sous ses traits Disney rassurants, ses rires de touristes bruyants, ses daikiris à la fraise dans des verres en plastique, m’éloignent un peu de l’authenticité que je recherche maintenant quand je visite autre chose qu’un parc Disney.

Mais alors c’est quoi le French Quarter et sa vraie-fausse culture ? C’est principalement deux types d’architectures, espagnoles et créoles. Les Français ont bien occupé le coin pendant l’émergence de la ville, mais la déculottée infligée par les Anglais leur feront perdre la plupart de leur «  Nouvelle » France. Et comme les Anglais ont immédiatement refilé le paquet à l’Espagne — qu’en avait gros d’avoir perdu la Floride — ce sont les Espagnols elle qui façonneront la ville moderne et la reconstruire entièrement après plusieurs feux. Si bien qu’il reste pas grand chose de français si ce n’est le tracé des rues. Et c’est pas les trois ans entre la reconquête de la Louisiane par Napoléon et sa revente aux USA qui ont effacé l’influence hispanique…

Ce qui explique que les célèbres galeries en fer forgées soient espagnoles et que les facades bien connues avec des porte-fenêtres colorées soit hispano-créoles. Ils appellent ces dernières des maisons créoles. C’est difficile de vraiment retracer leur origine, mais disons que le Sud-Est des US en a pas mal et que la Nouvelle-Orléans en est bourrée. C’est généralement un toit en V dont la crête est parallèle à la rue et un mur clair avec quatre ouvertures identiques qui donnent directement sur le trottoir ou sur un porche. En revanche y en a pas mal qui n’ont de créole que la façade.

C’est donc ça le vieux carré. Des touristes qui évoluent dans un décor édulcoré et retravaillé pour s’adapter à la culture re-packagée, facile à vendre, dont on a enveloppée tout le quartier. Et le plus triste c’est que cette culture polissée déborde du French Quarter ! Elle n’atteint pas que les touristes et les gentrificateurs, pour pas que ça fasse trop salle, on cache aussi les pauvres derrière. Après Katrina, la ville, bien contente de voir tous ces pauvres relocalisés aux quatre coins du pays, en a profité pour raser complètement ses logements sociaux. Ils n’avaient pas été inondés, juste abandonnés par leurs occupants. Mais on s’en fout, on les ferme en prétextant de l’insalubrité, on revient après cinq ans constater cette fois une véritable insalubrité (tu m’étonnes, cinq ans !) et on rase. Et ce qu’on a construit à la place a tout d’un hotel Disney. Une petite ville sur le thème de la Nouvelle-Orléans des guides touristiques.


Les gens heureux déguisés en Cosby Show? Disney World. 
Les rues désertes? NOLA.
Les gens heureux déguisés en Cosby Show? Disney World.
Les rues désertes? NOLA.

C’est chouette, ça choque pas les touristes dans leurs Uber (nous). Pis ça doit bien aider l’ego de ceux qui vivent dedans tiens ! Se faire servir cette Louisiane de pacotille alors qu’on refuse de t’intégrer à la vraie depuis 300 ans.
— Pour pas choquer les privilégies, voulez-vous bien vous déguiser comme ils aiment ? Pis on arrête les barbecues, merci.

C’est un peu comme si nos pauvres issus de l’immigration, on les parquait dans des jolis villages d’Astérix…

Le plan c’était de découvrir le Faubourg Marigny au-delà de Freshmen Street. On a d’abord commencé par faire le Musée de la culture backstreet où on nous a fait faire le tour des deux pièces de ce petit musée consacré aux festivités typiquement blacks de la Nouvelle-Orléans.
La première salle est consacrée aux Indiens de Mardi Gras ! Faut pas voir des premières nations ou des amérindiens, faut plutôt imaginer un costume à plumes et paillettes percé d’un petit trou dans lequel un mec pas indien du tout va passer la tête pour chanter « Iko ! Iko ! Jock-a-mo Fee No Nay ».

On pourrait écrire des romans sur les Mardi Gras Indians et certains le font. C’est un des trois trucs que je voulais absolument voir. Je savais bien que ça serait pas possible, parce que pas vraiment la saison, mais voir les costumes entreposés là et écouter les explications d’un vrai Indian c’était déjà pas mal. Je dirais que pour comprendre le truc on peut commencer par mater Tremé évidement ou taper dans le vraie avec le doc Bury the Hatchet (mais bonne chance pour le trouver).
La deuxième salle est consacrée aux Social Aid & Pleasure Club (clubs d’aide social et de plaisirs). Ce sont ces clubs qui te permettent d’enterrer dignement tes proches et de recevoir un peu d’aide quand t’es dans la merde. Ce sont ces clubs qui dansent en costume de pimp un dimanche par an lors de leur second line d’anniversaire.
Et au bout de la salle, on parle des Jazz Funerals, le troisième truc que j’aurais aimé voir en vrai. Tout le monde peut se pointer à une jazz funeral, en tout cas la procession dansante qui suit l’inhumation. Mais malheureusement, on en a pas croisé dans la rue, donc pas de funérailles jazzy pour Bibi.
Pour faire court, faut imaginer le principe de la second line, avec des croquemorts qui glissent lentement un pied devant l’autre au rythme du brass band qui suit. Et puis le monde derrière, des orphelins, des veuves, des voisins, des touristes qui chantent, qui dansent, qui enveloppent le défunt de toute leur humanité et poussent sa mémoire dans toutes les rues du quartier. J’aurais bien aimé vivre ça. Sinon, il y a toujours de vidéos comme celle-là ou celle des funérailles d’Allen Tousaint.

Après le Backstreet Museum, on a filé à vers le Faubourg Marigny aux abords du quartier de Saint Roch. On s’est posé dans un café « Fair Grind » où l’on a pu constaté que l’esprit hipster d’ici, à certains endroits, est resté bloqué à son état d’expérimentation. Le café hipster n’est pas décoré de blanc et de doré mais simplement équipé de meubles pourris à la peinture écaillée, comme dans notre bon vieux Mile-End du début des années 2010. C’est vraiment reposant de retrouver l’esprit libéré des débuts du « mouvement » avant qu’il ne soit repris par une clientèle avide de codes et de convenances — blanches et dorées.

On a poursuivit le long de l’avenue Saint Claude jusqu’au New Orleans Healing Center, une sorte d’espace communautaire slash mini-mall où cohabitent une clinique alternative, des magasins de craft, un club de sport, un café et une galerie d’art qu’on a pu arpenter tranquillement en écoutant la musique fitness qui suintait du couloir. Dans la galerie : justement des photographies très « backstreet » avec des second line, des mardi gras indians, des jazz funeral et autres joyeusetés locales tellement loins des pastiches du vieux carré.

Ensuite on arpenté toujours plus de rues tranquilles bordées de cottages créoles jusqu’à Frady’s One Stop Food Store ! Un Deli tout petit avec quelques tables jetées au hasard de sa galerie jaune délavée. Chez Frady tu manges, dans une belle boîte styromousse, une plâtrée pour 7,5$. C’est quand même assez connu, en tout cas dans les guides, mais toujours aussi modeste et déglingué.
Un couple de vieux blancs s’active derrière la banque froide et chaude en accueillant aussi gentiment les accoutumés déterminés que les touristes indécis.
Pendant qu’on choisissait notre bouffaille, une habituée plus maigre que mon doigt est rentrée en saluant tout le monde. Elle avait trouvé un travail ! Applaudissements du patron et des clients qui attendaient leur sandwich. La petite black, après avoir scruté ce qui restait derrière la vitre dégoulinante, trouva de quoi et, serrant ses points mal manucurés cria à nouveau « I got a job !». Elle paya puis sortit comme elle était venue. Deux petits blanc du deuxième mouvement hipster sont rentrés, paniqués, en demandant à tout le monde à qui était le vélo dehors, un mec venait d’emporter la selle ! Oh putain, surprise de la tenancière, haussement d’épaule de toute la file, puis la black qui rentre juste sa tête dans le bouclar pour rassurer tout le monde : c’était son vélo au gars ! Vérité ou solidarité des locaux contre un con de touriste qui laisse traîner son beau vélo ? On ne le saura jamais, mais la tête des deux émotifs quand la patronne s’est foutu de leurs gueules valait toutes les selles du monde.
Une fois sur la terrasse, j’ai mangé… côtelettes et dirty rice (un riz cajun) avec salade de patate et haricots verts. Miam miam mes 7,5$.

On a poursuivi la balade dans le quartier. C’est là qu’on a vu le plus de « X Code ». Ce sont des graffitis posés sur les maisons par les équipe de secours après Katrina. Un gros X avec des codes dans chaque branches qui permettait de savoir rapidement si la maison avait déjà été fouillée ; combien de personnes y avaient été trouvées, vivantes ou mortes ; et les dangers qui pouvaient rester à l’intérieur. Ça évitait de fouiller une baraque deux fois, et de te retrouver pris dans une mer de rats.
Chacun, peu importe sa classe, a retrouvé une de ces croix sur sa maison. Alors quand il y a inscrit le nombre de tes morts dessus, t’as pas forcément envie de voir toute l’Amérique s’en tapisser la feed Instagram. Pourtant ç’est devenu un symbole artistique, et sans en chercher on voit encore quelques une de ces cicatrices. Certaines originales peintes à la bombe ou d’autres reproduites de façon plus ou moins artistique.

Après Dookie, vu le temps, on avait prévu de se faire l’Aquarium Audubon à quelques arrêts de tram de là.
On a embarqué près de l’hôpital vétéran de la ville avec un gars bien abimé qui expliquera à une famille de touristes « bonne oreille » qu’il avait subit plusieurs opérations depuis l’Afghanistan où il avait perdu ses trois frères :/
Ils s’ouvrent facilement ici, en tout cas plusieurs usagers l’ont remercié pour son service avant de le laisser descendre comme il pouvait le mètre cinquante qui sépare le plancher du trottoir. J’espère qu’il était membre d’un Social Club…

L’Aquarium se trouve en face du Casino Harras, une construction gigantesque ! Si j’avais pas connu les équipe sportive de NOLA, j’aurai juré que c’était un stade de baseball pro. Mais non ! C’est juste un Casino qui trône comme le temple d’une des villes les plus pauvres des USA.

Dans l’Aquarium, faut pas s’attendre à une reconciliation avec l’humanité du continent. Un aquarium entier financé par les pétroliers vante l’interêt écologique, tiens toi bien, des plateformes pétrolières !
Ouais, les poissons ils se complaisent dans la flore qui se colle au pilier, du coup on les enlève surtout pas les piliers quand on a fini de bousiller le plancher du golfe du Mexique, on les laisse pour pas déstabiliser les poissons couillons.

Et pour que tu vois bien, dans cette aquarium d’au moins 13 mètres par 6 où nagent des tortues géantes et plusieurs espèces de requins, on a reconstitué les pieds d’une plateforme ! Ah c’est bluffant comme BP sait cajoler son océan !

Sinon les relents habituels d’un centre de détention pour animaux. Ils se targuent de leur crocodile blanc. Le truc flotte debout dans l’eau les bras ballants, comme un mec bourré dans sa piscine. Tout ça dans un joli décor de Bayou Disneylandien.

Pourquoi on y est allé ? Parce qu’il pleuvait ben ben ! Mais une fois sorti, c’était plutôt éparse comme gouttelettes.

Ensuite on s’est dirigé tranquillement vers le Ogden Southern Arts Museum où un concert devait avoir lieu à 18h. (C’était 14h).
On a marché lentement en zieutant les petites choses sur le chemin, et je me suis arrêté au Confederate Memorial Hall, un mémorial de sudiste logé entre les deux ailes du musée Ogden.
Oui, j’aime bien m’intéresser aux deux côtés de l’histoire, les gagnants qui l’écrivent et les perdants qui la subissent. Dans ce cas-là, il n’y a pas de toute, on est bien content du score finale, mais ça n’empêche pas que les pauvres troufions morts en bleu valaient autant que les couillons mort en gris et dont on parle beaucoup moins.
Alors tant que tu ne fouilles pas trop dans le fond des yeux du staff bénévole qui considère peut-être encore l’esclavagisme comme une « tradition » ; tant que t’oublies pas que la pérennité de cette institution nécessitait en plus de lois racistes, l’écrasement continue de tout un peuple ; et que t’essayes pas trop de faire le parallèle avec les autres formes d’exploitations modernes ; tu peux marcher entre les vitrines de fusils et de casquettes fripées qui ornaient des morts autant dupés par leur élites gouvernantes que nos vénérés poilus.

Le [Musée Ogden des arts du Sud](Ogden Museum of Southern Art), c’est des arts du sud de toutes les époques, mais beaucoup de photos récentes quand même. Et tous les Jeudi, il y a un concert offert aux visiteurs du musée. Ce soir-là c’était un illustre groupe du Colorado qui avait le mérite de featurer un trompettiste local visiblement assez populaire. Et moi ça me détend drôlement de regarder un musicien jouer de son instrument, surtout quand c’est pas une guitar, une basse ou une batterie qu’on a tellement l’habitude de voir partout. Après une grosse heure de Colorado et d’Eric Benny Bloom on s’est extirpé de la foule vieillissante pour retraverser toute la ville, et tout le French Quarter jusqu’au Faubourg Marigny.

Traverser le centre d’une ville américaine, le soir, ça développe les sens. D’abord, il y a pas de touristes et comme c’est la nuit, il n’y a pas de travailleurs non plus, il n’y a pas de gens en fait ou très peu. Il y a en revanche des tas de constructions érigées pour l’industrie tertiaire avec de petits carrés de lumière qui déséquilibrent leur triste quadrillage.
Il y a des Starbucks fermés mais tout éclairé, des voitures qui glissent lentement sous les ronds des lampadaires. Il y a quelques rires poussés par des groupes de vivants qui quittent un restaurant, ou fument devant un bar. C’est des rires détendus, libres, émulés par la sensation d’appartenance que leur procure ce groupe. Leurs cris font tourner la tête quelques secondes, puis ils disparaissent dans des Uber ou des coins des rues.

Traverser le vieux carré c’est une autre forme de contemplation. Bourbon St. est plein de bars à danseuses ou de bars sportifs. De leur porte sortent quand même des sons un peu Dixieland : les cuivres, le banjo. Il y a de la musique d’ici entre deux mi-temps de sport, entre deux strip-tease.

Rapidement, on se retrouve dans les rues moins fréquentées du quartier touristiques. Certains groupes se font entendre aussi au détour d’un mur ancien mais on tourne pas la tête.
Les bâtisses moins menaçantes que les gratte-ciel du centre ville paraissent moins sincères aussi. Elles sont là pour faire joli, pour maintenir une apparence attendue des visiteurs. À défaut d’y travailler des gens y vivent, mais pour combien de temps ? Les intérieurs ressemblent à n’importe quel décor de série Netflix ou d’influenceurs Instagram. Beaux, riches, réfléchis, contraints, impersonnels.
On l’a quand même vécu, une dernières fois, sans oublier que ce carré, depuis des siècles, irriguent la ville d’une richesse culturelle et commerciale non négligeable.

On a ensuite repéré un gros soubassophone qui trottait au dessus de la foule vers Freshmen Street et pu profité quelques temps du brass band qu’il venait de rejoindre. Les mecs jouaient devant Freshmen Art and Books, une libraire qui ferme tôt. Quatorze blacks peuvent donc squatter le corner avec leur brass énormes.

La soirée s’est fini un peu plus loin en dehors du vieux carré, en dehors de Freshmen Street, sur Saint Claude dans un bar appelé le Siberia où se jouait du Jazz des Balkans.

J’ai pris une Louisiana Mule (une Moscow Mule encore plus sucrée, ben tiens) et écouté une clarinettiste emporter un ensemble d’une dizaine de musiciens. Il y avait beaucoup de femmes en couple dans le bar, beaucoup de vrai gens en fait qui se saluaient de loin ou s’embrassaient pour certains.

On aura pas vu de Jazz Funeral, ni de Mardi Gras Indians, mais tout de même une Second Line.
On aura enfin posé sur ces noms de rue et de quartier des souvenirs bien réels. J’aurais enfin pu me réconcilier avec le Jazz, le traditionnel du moins, celui du coin. J’aurais enfin vu une de ces villes du Sud où fermentent les tentions raciales depuis des siècles et où fomentent les révolutions qui les grignotent trop lentement. J’aurais même vécu un week-end de match des Saints et compris que cette équipe ne représente pas que des beaufs hurlant après un écran plasma. C’est aussi une institution locale que San Antonio a bien failli récupéré après Katrina. C’est un de ces symboles qu’on a voulu leur retirer après la tempête.
Imagine toi par terre, abandonné par ton propre pays, et voilà que ton voisin lorgne tes pompes et commence même à en défaire les lacets. C’est un peu ça qu’ils ont ressenti en 2005 et qu’ils ne risquent pas d’oublier.
Les Saints, leur bouffe trop grasse et trop sucrée, le Jazz, le French Quarter, les églises Gospell, le Mardi Gras, celui des blancs à la « Parade Disney » et celui des blacks avec leur Indians et leur Social Clubs, les maisons créoles, les bateaux à aubes et à touristes, les bugnes sucre-glace !
Tout ce qui tient encore après Betsy et Katrina, c’est la marque de leur survivance — ce mot que cette ville m’auras appris. Et contrairement aux Chicagolais de 1871, aux Franciscanais de 1906 ou aux New-Yorkais de 2001, personne les a aidés, ils on dû l’ériger tout seul leur survivance, et un peu plus haut que les digues du génie civile !

Les cicatrices de Katrina sont pas si évidentes pour le nouveau visiteur, il y a les « X Code », les logements sociaux thématisés comme Disneyland, des maisons abandonnées aussi, mais à part ça on ressent pas vraiment — sauf certainement en abordant ce sujet délicats avec les habitants — la détresses qu’a pu laisser la tempête derrière elle. Mais on voit très bien tout ce qui s’en est relevé en revanche, et ça fait un beau spectacle.

Et bien d'autres