USA / Mon épicier passe des vinyles.

À première vue ça parait un peu too much.

C’est une épicerie grano certes, où les patronnes/vendeuses prennent le temps de rentrer le code et le poids de chaque article dans la vielle caisse enregistreuse qui débite son petit rouleau de papier ligne par ligne. Faut pas être pressé mais on est jamais trop nombreux dans le machin.

Et entre deux clients, quand le disque est terminé, on se tourne vers la platine, on soulève le bras articulé, on décolle le vinyle du plateau, on le remet dans sa pochette, on en prend un autre dans la pile, on le positionne tranquillement jusqu’à ce que la petite tige trouve son trou, on dépose délicatement le diamant sur la première piste et on rabaisse le Plexiglas fumé.

— Hello ! Do you need a bag ?

C’est pas anodin, c’est pas juste par ce que le grin du vieux 45 tours sonne mieux au-dessus du frigo à tofu. C’est un état d’esprit d’ici qui ne valorise pas simplement la musique ou la simplicité (y a une carotte géante sur le toit de la boutique), non, qui valorise le temps.

On a le temps de rentrer les articles à la main, on a le temps de changer de disque entre deux clients. On a le temps dans l’épicerie mange-disque mais au dehors aussi.

On a le temps de laisser passer les cyclistes et les piétons par exemple.

Ce qui m’a choqué en arrivant à Montréal c’est le geste de l’automobiliste notifiant au piéton qu’il le laisse passer. Et « laisse » est important.

C’est comme deux petites gifles données à une souris imaginaire. Pif-paf-grouille.

Une gestuelle claire qui signifie : Maintenant que j’ai arrêté ma bagnole en accordance avec le code de la route, t’as interêt à te magner !

Et ça reste tellement mieux qu’en France où t’es obligé de te jeter sur son pare-brise pour qu’il active le frein.

À Portland, tu t’approches tranquillement d’une 4 voies en sifflotant et t’as 4 bagnoles qui s’arrêtent des deux côtés. T’es Dark Vador!

Et personne s’attend à ce que tu cours jusqu’à l’autre côté.

Attention, c’est pas lié au code de la route de l’endroit, dans tous mes exemples les piétons ont la priorité. Même si on voit ici des cyclistes qui après s’être arrêtés au stop repédalent prestement sous l’insistance d’un automobiliste « trop » gentil.

Quoi qu’il arrive ça se voit dans les yeux et les gestes de beaucoup de gens d’ici, ils ont le temps. Ceux qui attendent l’autre le font le plus naturellement possible, comme on attend l’automne ou la fin de la journée, sans blâmer un être, ou des décisions.

Je ne sais pas ce qui les amène à accueillir l’attente si paisiblement mais c’est tentant d’essayer de les rejoindre.

< Portland tu sens le pin. Seuls au monde >
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