Ensuite, on a profité de l’endroit pour allez voir le cimetière Lafayette Cemetary n°1, oui ici les cimetières sont numérotés comme des parfums Chanel.
En face du cimetière il y avait un petit centre commercial et un café où on a pris une pause repos/pipi/caca.
Je pense que le café contient les toilettes les plus populaires de Louisiane, toute la ville se retrouve là dans la queue du couloir. Faut compter minimum une demi-heure avant de tout lâcher. Faut croire que tous les touristes à cimetières, comme moi, se mettent à avoir un débit compte-goutte dès que l’envie dépasse le soutenable. Alors oui c’est long pour libérer tout ça, et c’est donc très long avant de pouvoir libérer le chiotte.
Ah oui les cimetières ! Ceux d’ici sont célèbres, ils sont surélevés pour éviter les inondations, ce qui donne des petites commodes en pierre bien connues de l’imaginaire Voodoo où l’on range ses morts en étagère.
Ce qui m’a frappé dans ce cimetière avant même d’y rentrer c’est son mur d’enceinte. Il est blanc, tellement blanc, et vieux, tellement vieux, et de ses grosses fissures s’échappe une végétation verte, tellement verte. J’ai vu directe la métaphore, j’ai vu ce que j’allais ressentir dans ce cimetière. On est rentré quand même.
Dedans, pas déçu, les tombes me parurent moins blanches que les murs mais toute aussi virginales, certaines en revanche libéraient aussi une végétation consolante. En vérifiant les photos plus tard, je me rendrai compte que mes souvenirs s’étaient mélangés avec mon cimetière à moi. Plus les détails différaient et plus je pensais à Tassin. Sauf peut-être en voyant les guides déguisés.
Il y en avait plusieurs, aguichant les clients ou trimbalant leur petit groupe de curieux. Je me suis demandé ce que ça ferait d’aller voir mes morts au milieu des touristes. Mon cimetière, en tout cas en taille, correspond à celui-là, et je pense aux autres cimetières historiques de la Nouvelle-Orléans. Avec la mort récente de ma grande-tante, la doyenne familiale, notre petite crypte à nous, et qui selon moi n’a rien à envier à leur commode à eux, continue de se remplir tranquillement des visages que j’ai aimés. C’est dans ce caveau que dorment mon grand-père, ma grand-mère, maintenant sa soeur, et puis mon père.
C’est une tombe à peu près carrée, surmontée d’une vasque haute d’un mètre environ aux allures de coquillage un peu grotesque. Dans le fond, la stèle porte ses quatre noms dorés. C’est là qu’ils restent tous, loin des touristes et loin de moi. J’éprouve pas vraiment le besoin de m’y rendre, mais d’y penser, beaucoup. Je suis né à Tassin-la-Demi-Lune. Et pendant longtemps c’était juste un nom de banlieue sur un livret de famille, c’était un séjour à la maternité, mes trois premiers jours, c’était là où vivait ma mère, et accessoirement son gynéco. C’est aussi là où vivaient mes grands parents morts trop tôt et dont cette grande-tante restait jusqu’à cette année, pour moi, le prolongement affectif. C’est aussi ce qu’on me rappelle quand je joue un peu trop le Lyonnais : que je suis pas né à Lyon — à trois jours près.
Mais maintenant pour moi Tassin c’est un cimetière. C’est pas la mort, c’est pas triste, mais c’est là qu’ils resteront tous, c’est mon petit mausolée que je trimballe dans ma tête. Et quand me viennent ces tourments mélancoliques, quand ces absences secouent brutalement mon quotidien et qu’il faut bien les contenir, et bien je pense à la vasque de Tassin et tout ce — ceux, qu’elle contient. Et comme j’y suis né, à Tassin, c’est là que j’aime m’imaginer retourner, et ce peu importe où finiront véritablement mes membres.
Ces temps-ci je pense plus à la sépulture que Nicolas Cage a déjà acheté pour lui dans un autre cimetière de la ville.