On est à Huancayo depuis maintenant deux jours. Un chat me lèche le coude, enfin le coude de mon sweat Kappa acheté dans un mall de Lima. Sweat pourri fabriqué exclusivement pour qu’un péruvien moyen puisse avoir l’honneur de porter du Kappa (de merde).
Il faut un temps d’adaptation au séjour dans un pays bien, bien moins riche que le sien. Et comme un décalage horaire ça peut durer quelques jours. C’est pas une question de désordre ou de standards d’hygiène très loin des normes européennes (pas si loin des américaines). Ce n’est pas non plus les toilettes dont la plomberie ne permet pas d’y jeter son PQ.
Non c’est d’arpenter, d’observer, de visiter un pays et son peuple avec notre énorme pouvoir d’achat peint sur la gueule. C’est le jugement de ces gens qui voient passer ces lunettes de soleil et ces sacs à dos. Ceux qui ont laissé derrière eux le confort que la grande loterie du « où t’es né » leur a donné pour venir voir à quoi ressemble ce pays pauvre. Le fait qu’il soit pauvre est accessoire, c’est la dernière chose qui pousse quelqu’un à visiter un endroit, mais l’impression est là, d’après notre expérience, d’après ce qu’on a chez nous, le Pérou est pauvre.
On peut éviter cette question-là, on peut se contenter de monter au Machu Pichu dans la première classe du train touristique, de rouler dans des bus ultra confortables avec les plus riches des péruviens, on peut réserver un trek de trois jours avec un guide américain. On peut évidement ne voir que ce qui est mis en avant par le peru.travel du ministère.
Mais on a choisi de ne pas faire ça (sans trop s’en éloigner non plus hein…).
Ce décalage, donc, s’invite un certain temps dans le voyage, en tout cas dans ma vieille tête. Mais aujourd’hui alors qu’on pénétrait enfin le vrai Pérou. Celui des marchés aux poissons où un saut d’eau jeté sur les truites toutes les demi-heures fait office de réfrigération. Celui des minibus bondés qui filent sur des routes de terre pour emmener les vielles péruviennes « tresses et chapeau » en haut de leur colline, et descendre les adolescents au centre commercial de la ville pour qu’ils achètent des vraies marques de merde. Celui des vendeuses qui courent dans la circulation pour vendre aux bagnoles un sac plastique rempli de jus d’orange. Celui des restaurants qui te remplacent juste ta patate quand tu leur montre le ver dedans. Celui des voisins qui tirent des filets de volley dans leur rue sans bitume et jouent toute la soirée.
Celui des péruviens qui ne sont pas pauvres, à qui il ne manque pas tant que ça, si ce n’est ce qui me rassurerait moi et tout ce que notre hémisphère leur fait convoiter pour le leur vendre à bas prix.
En voyant ce vrai Pérou le décalage est passé… m’enfin j’avais quand même un gros ver dans ma patate à midi, vraiment gros !