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Valley of Love : Huppert + Depardieu.

L’histoire d’un couple de stars françaises divorcé et dont le fils récemment suicidé a envoyé une lettre à chacun de ses parents pour qu’ils se retrouvent dans la Death Valley dans l’espoir, tenez-vous bien, de l’y revoir une dernière fois. Évidemment ça nous a un peu donné le thème de la journée.

Depardieu et Huppert dans la Vallée de la Mort c’est comme si les deux chefs de l’état d’esprit français s’étaient rendus là-bas. Ils s’engueulent, ils se plaignent, ils se cachent derrière une froideur condescendante dès qu’un américain leur parle du beau temps et pestent contre la mauvaise réception de leur téléphone portable. Il est gros et il sue, elle est belle et hautaine. C’est la France en voyage (qui a perdu son fils).

Le film est tourné à plusieurs endroits du parc et surtout à Furnace Creek Ranch, le resort au coeur de la Death Valley où tu peux entre deux pauses photo, manger un burger, piquer une tête, faire un golf ou encore tripper dans le magasin où Isa achète sa soupe dans ce film que personne a vu ! Pour moi, impossible en faisant le Death Valley National Park, de ne pas penser à Isa et Gégé, en sueur, courant après leur fils mort dans chacun des points de vues mythiques de la Vallée de la Mort.

Évidemment le réalisateur a pas choisi le lieu par hasard, c’est dans ce genre de cadre-là que l’on peut vraiment contempler notre petitesse. C’est difficile de réaliser l’insignifiance humaine devant des constructions anciennes. Oui la Muraille de Chine, oui le Machu Picchu, oui n’importe quelle merveille du monde, mais faut bien reconnaître que ça ne sert guère notre modestie toutes ces belles merdes laissées là par des hommes. Et pour tous les français, à part ceux qui vivent dans le Massif Central, il faut aller très loin pour observer des panoramas sans traces humaines à perte de vue (ouais y a la mer mais bon).

Bon ici, il y en a pas mal des traces humaines, des routes et des parkings principalement, mais suffit de se tourner du bon côté pour les virer du cadre. On peut aussi marcher quelques minutes, trouver une petite colline, laisser la voiture loin en bas et embrasser le silence formidable de la Vallée de la Mort. Et là, alors que rien d’humain ne pollue ton champs de vision, tu peux observer des kilomètres de montagnes multicolores, figées là depuis des millions d’années, et penser à l’amplitude incalculable entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, et à toi, pauvre con, perdu quelque part sur cette échelle vertigineuse.

Cette échelle limitée à nos sens étriqués, ça donne les grains de sables sur tes baskets pour le plus petit et ces montagnes gigantesques qui moutonnent jusqu’au fond là-bas où elles disparaissent dans une dentelle bleutée. Mais entre ce petit et ce grand-là, il n’y a que toi : ben merde !

Et pis fatalement, t’entends Gérard qui beugle en sortant de Mosaic Canyon.

— Il m’a pris les mainnnnnns ! Il m’a pris les mainnnnnns et il m’a diiiiiiiiiiiiit… !

Comme seul notre Monument National à nous peut le crier à une Isabelle Huppert en larmes.

Ouais faut avoir vu le film pour vibrer, mais bon, j’ai entendu l’écho de Gégé percuter les dolomites toute la journée alors je partage.

Allez pas d’excuse (si ce n’est qu’il n’est que sur le Netflix ricain)

Je suis dans un train américain. Tous les passagers et leurs litres de café vibrent comme pris d’une crise de paludisme généralisée.
Le train aura été l’une des rares nouveautés de ce voyage à New-York. Je ne sais pas ce qui me ramène toujours aux premières fois, mais seul, sans l’influence des inclinaisons de gens m’accompagnant, à New York ou à Tokyo, je me recale instinctivement dans les tracks formées par mon premier passage. Celui de New York date de 97.

C’était une chambre juste au-dessus de Time Square, surplombant la 7ème avenue. Au levé du jour tu pouvais voir une rivière de minuscules taxis jaunes rouler vers le sud. En face, l’affiche gigantesque de Cats bouffait les 5 étages d’un vieil immeuble pour te rappeler ou t’étais. Et dans la salle de bain ou sur le lit d’à côté, mon père avec qui je ne me retrouverai plus jamais seul aussi longtemps.

Il y avait des restaurants à thème dans le même block qu’un sex shop, et sous une pile de cartons tu pouvais deviner le pied d’un clodo. Disney venait tout juste de racheter l’Amsterdam Theatre et commençait le programme immobilier qui transformerait ces 6 blocs percés par Broadway en parc d’attraction Vegasien.

Alors comme avoué plus haut, c’est toujours vers cette expérience-là que je me tourne, un hotel près de Time Square, et des promenades quotidiennes sous les LED de pubs démesurées et les marquises des théâtres de Broadway où se jouent les nouvelles et les anciennes comédies musicales. Cette fois j’ai voulu comparer l’ancien Broadway et le nouveau.

Le premier acte, c’est une comédie musicale dans son genre le plus ringard : l’adaptation. Attention, pas l’adaptation d’un livre comme “Les Misérables”, ou d’un Disney comme “Le Roi Lion”, non, l’adaptation d’un film lui même adapté d’une pièce, et pas n’importe lequel: « Il était une fois dans le bronx (A Bronx Tale) » réalisé par De Niro en 1990.
Doit pas être le carton du moment vu le rabais de 40% offert sur premier rang, mais ça a fait pas mal de bruit quand c’est sorti en 2016. Alan Menken (Little Shop of Horror, Little Mermaid, Sister Act) faisait la musique et De Niro co-réalisait.

Donc yours truly, pas peu fière de sa belle affaire, se retrouve le menton dans la scène à regarder scintiller les postillons de l’une des plus vieille institutions artistique du continent: The Musical!

C’est difficile d’imaginer l’influence du film quand toute cette bande de joyeux truands chante et danse sur scène avec ce sourire tellement significatif de la fausse joie de vivre États-Unienne. Mais j’y suis, j’ai choisi, et je suis tellement prêt de leurs jupes et braguettes qu’il serait ingrat de ne pas analyser la performance.

Surtout que si on observe de prêt ce sentiment de supériorité ressenti par tout européens devant les claquettes et les lancés de genoux d’un Jean Valjean ou d’un parrain de la mafia, si on s’interroge vraiment sur les raisons de notre dénigrement, on réalise vite qu’elles ne sont pas vraiment fondées.

On met en avant Beaumarchais ou Rossini en oubliant le trames des pièces du premier et des adaptations musicales du deuxième. Le Barbier de Séville ou le Mariage de Figaro c’est quoi si ce n’est une comédie de boulevard bien chantée ? Des portes qui claquent, des amants dans le placard ou sous le balcon, et le barbier, symbole du peuple qui se gaussent de ce beau monde bien habillé. Je parle même pas de nos grands héros: Molière et Guitry. On est en plein dans le Vaudeville, et c’est ce genre-là qui dominera et vaincra. Le genre de l’ouvrier payeur qui préfère se moquer de sa classe dirigeante plutôt que la regarder défier son père pour mieux baiser sa mère, tout ça dans un français tellement ampoulé qu’il sonne comme le plus élitiste des patois.

— Ma vengeance est perdue s’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue. Andromaaaaaaaaaquue!

Bref, après cette mise au point sur l’arrogance infondée des européens, je retourne dans mon siège, le cou tiré vers les entre-jambes de ces acteurs de seconds rôles, qui pour certains m’évoquent vaguement l’un des suspects dans une séries policière bidon.
Faut quand même reconnaître que leur jeu est parfait. De si près tu peux voir toutes les expressions faciales, et elles sont bien là. Même quand l’attention s’est portée sur le gars d’en face, machin continue de jouer de ses lèvres et de ses yeux l’émotion mise en pause par la réplique du voisin.
D’une scène à l’autre ils changent de costume et de personnage, ils jouent des pères, des fils, des passants, des flics. Ici des chauffeurs de bus sacrifiant toute une vie pour le future de leur marmots. Et aussi ces voyous qui séduisent et chaperonnent ces mêmes marmots. Tout ça entre deux chansonnettes rigolotes !

Les américains savent jouer, enfin en tout cas leur acteurs ! Et Broadway c’est un peu le bouillon où naissent et meurent, éclosent et fanent, stagnent dans l’ombre aussi, les meilleurs talents théâtraux de la planète. Rien que pour ça, ça vaut le coup d’aller se coller dans leurs genoux un dimanche après-midi. Ça vaut le coup d’aller observer les rictus parfaitement ajustés de la star montante à l’avant scène ou du cinquantenaire inconnu derrière elle qui n’aura jamais rien percé d’autre que ses souliers.

Je ne sais pas si c’est l’admiration sincère que le pays éprouve pour la profession où l’absence d’institutions ringardes comme notre Comédie Française pour qui l’acteur doit caricaturer l’humanité plutôt que de la retranscrire humblement. Mais ici on a une attente pour le jeu réel, pour la transposition quasi-parfaite des expressions et du parlé de l’être humain. Ça tient peut-être plus de l’anthropologie que de l’art, mais le fait est que n’importe quel danseur de deuxième plan d’une comédie musicale New-Yorkaise jouera toujours mieux que Francis Huster, et ça, ça mérite le respect.
Oui ils donnent à leurs théâtres des noms de dramaturges classiques comme Eugene O’Neil et foute “La Reine des Neiges” dedans, mais ils sont dans le vrai dans leur quête naïve de l’expression populaires. Moi j’aime ça.

Pour le deuxième acte, j’ai transgressé ma nostalgie complaisante pour découvrir la nouvelle scène New-Yorkaise, celle immersive où le spectateur est plongé avec les acteurs dans l’Hotel entrepôt de Sleep No More. L’attraction perd un peu de vitesse pour les locaux mais reste l’arrêt incontournable pour l’intelligentsia touristique européenne.

– Comment ça t’es pas allé voir Sleep No More ?

C’est sans spoiler que de dire que Sleep No More n’est pas du théâtre immersif mais bien de la danse immersive. Et l’immersion est totale si tu te prends au jeux des dizaines de spectateurs qui cours après les acteurs comme des nuées de moineaux.

La promenade est délicieusement lugubre, les pièces sont nombreuses et parfois immenses, il n’y pas tellement de portes que tu ne peux pas pousser. Et parfois, rarement au début, plus souvent après, tu tombes sur des comédiens en pleine performance. Autours d’eux, dix personnes si t’es chanceux, sinon une vingtaine de curieux près à déguerpir si les acteurs décident de transporter la scène un peu plus loin.

Évidemment qu’il y a des moments un peu plus personnels: quand t’as décidé de pas courir, quand t’es resté avec ce personnage qui paye pas de mine et finit par faire un truc extra-ordinaire. Mais ma deception personnelle vient de l’absence de voix. Je m’attendais simplement à du théâtre et pas de la danse. Je m’attendais à tomber sur des discussions violentes et personnelles au détour d’un couloir et qui, mises bout à bout, de personnages en personnages, de pièces en pièces, de cris en cris formeraient une trame incomplète mais mystérieuse. Je m’attendais aussi, comme dans le « bronx » trois heures plus tôt, à vivre ses moments de jeu d’acteur à quelques centimètres des comédiens, mais encore une fois, je n’ai vécu que des moments de danse muette. Des ébats par la danse, des combats par la danse, des viols par la danse, des meurtres par la danse… Difficile de ressentir le mal-être si souvent évoqué de Sleep No More quand tout ce que t’entends ce sont des chaussures raclant la terre battue et des corps qui s’empoignent. J’étais, à ma grande déception, pas si loin de la « Musical » de l’après midi (en moins rigolo quand même).

Mon meilleur moment restera la descente d’un long escalier lugubre, seul, alors que je venais d’abandonner un personnage devenu trop populaire. J’avais parcouru la moitié des marches quand survient face à moi un couple de comédiens main dans la main. Ils me regardent comme la mort, leurs yeux m’avalent tout rond alors que je m’écarte pour laisser passer cette apparition. Il faut que je les suivent, ils m’ont envouté… ben c’est sans compter avec les vingt-cinq couillons qui jouent au petit train derrière depuis vingt minutes. Ma présence en haut des marches vient de leur coûter les premières loges et ça se ressent… J’ai bien soutenu le fight des groupies pendant plusieurs minutes avant de croiser un autre acteur que ne suivait pas tout un pays.

Ça s’apprécie sûrement en plusieurs fois, on imagine pas qu’Emursive ait désigné l’expérience pour que l’on s’en lasse en une seule fois. Et puis c’est pas plus mal, ça se suit et se redécouvre comme une série ou un tableau mais tout le monde ne vit pas à New York, tout le monde a pas non plus le budget pour y retourner. Et pour ceux-là, les moments wouaou, mise à part la finale vraiment prenante et heureusement immanquable, risquent de se limiter à une ou deux scenettes. En espérant que l’ambiance Fight Club Black Friday ne les détourne pas trop vite d’un potentiel “moment”.

Une journée en deux actes donc ! Le premier un peu ringuard mais bien rodé et le deuxième plus innovant et donc encore maladroit. Mais on peut déjà deviner ce que sera le genre survivant du théâtre immersif, celui que nos arrières petit-enfants déposeront sur le piédestal du bon goût.
Ça sera sûrement dans un hotel aussi. Des actrices agripperont leurs jupes en dévalant des escaliers et derrière elles, à la traîne, une foule de spectateurs hilares encore grisée par la tête du cocu laissé dans la pièce précédente et pressée de voir qui détroussera la baronne dans prochain couloir.

On arrive à la Nouvelle-Orléans assez tard, et dès la sortie du terminal, on passe devant un mur de magasins fermés, pour tomber dans le grand hall où Spike Lee a interviewé Phyllis Montana.

Il y a deux œuvres visuelles majeures qui m’ont fait découvrir la Nouvelle-Orléans: le doc en quatre parties de Spike Lee, « When The Levees Broke » et la série de David Simon, « Treme ». C’est depuis la deuxième, la fiction donc, diffusée début des années 2010 que je rêve de voir cette ville en vraie. Mais pendant que ce fantasme se concrétisait il y a quelques mois, j’ai décidé de regarder la première, ce doc pleins de néo-orléanais écorchés vifs, qui te parlent de leur vie et de leurs morts, à peine un an après Katrina. Et dans ce doc il y a une témoin assez marquante, tellement marquante que David Simon a voulu l’embaucher pour jouer dans sa série qui elle aussi met en avant des vies post-Katrina.

Tu peux donc voir Phyllis Montana jouer la femme d’Antoine Baptiste dans Treme, et l’écouter, dans «  When The Levees Broke », t’expliquer toute son expérience Katrina devant le vitrail délavé du hall d’accueil de Louis Armstrong International. Vitrail sous lequel, elle, et tellement d’autres délogés de la tempête ont dû camper pendant des semaines en attendant qu’on les emmène au sec, loin de leurs familles et loin de leur culture. Ils seront relocalsés dans ces villes qui leur reprocheront leur survivance.

Alors, après dix ans de « je veux voir New Orleans ! », atterrir là, les yeux bouffis et traverser l’endroit où se tenait ce symbole commun à mes deux références NOLA, c’est un peu le parfait départ pour cette visite de la Nouvelle-Orléans, la ville qu’on regarde se noyer sans rien faire, et ce, tous les 40 ans.

La première journée a été très touristique, plongée dans le French Quarter (dont on parlera plus tard) et ses nombreux bars et magasins.

Les Saints de la Nouvelle-Orléans rencontraient Pittsburg le lendemain, les rues étaient pleine de gros en casquettes et t-shirts de leur équipe. On en croisait des familles entières déguisées en footballeur ! Un verre de bière à la main, des pilules dans un sac plastique et vas y que ça inonde les quatre rues du French Quarter de leurs rires pas subtiles.

En fin d’après-midi on est passé devant un bar avec une potence qui disait « Preservation of Jazz » ou un truc comme ça et qui nous a fait penser que c’était le fameux Preservation Hall (Pas longtemps).
On a poussé plus loin jusqu’au vrai Hall, on a longé la file de touristes bien habillés qui s’endormaient le long du mur, puis on s’en est retourné dans le faux, où nous attendait une chouette performance musicale.
Un black en veste de Noël crachait des trucs incompréhensibles dans son micro, et une petite asiatique perchée sur un tabouret agitait les coudes « à la  princesse Disney ». Parfois elle sautait du tabouret et se lançait dans une danse douloureuse qui consistait à jeter bras et jambes le plus loin possible de son corps, et le plus près possible du chanteur. Ensuite elle descendait de la scène en agitant une corbeille à billet. À votre bon cœur !

Ça sera notre premier contact avec la scène musicale néo-orléanaise mais on se rattrapera.

On a fini la journée dans le seul endroit a peu près câlme et chaud du coin, le Café du Monde.

Le Café du Monde c’est un peu la Fontaine de Trevi de la Nouvelle-Orléans: c’est ouvert tous les jours 24h/24, et vu le brassage t’as interêt à t’y pointer à trois heure du matin ! Faut voir une immense terrasse couverte entourée d’arcades rivoliennes au fond de laquelle se cache un espace vitré pas plus grand qu’une salle d’attente SNCF. Là dedans des dizaines de serveurs s’animent derrière la file d’attente des toilettes.
Au « du Monde », comme ils disent, tous le monde prend le Café au Lait et Beignets. Une fois que t’as extirpé tes machins de là en les secouant bien, tu te retrouves avec un bon centimètre de poudreuse ! Poudreuse qui, quand elle n’arrive pas directement dans le sang des touristes, atterrit généralement sur le par terre.
C’est pas l’endroit le plus typique de la Nouvelle-Orléans, mais c’est connu et apprécié des locaux, pis on y avait chaud et les bugnes étaient bonnes, alors on est resté regarder les serveurs trimballer leurs montagnes de beignets pendant le carrelage se transformait en une scène Scarface.

On a marché jusqu’à l’église Saint Augustine ou nous attendait une petite messe pas piqué des vers !

Les touristes que nous somment sont pas contre une petite église de temps en temps et si c’est musical, tant mieux ! En plus à la Nouvelle-Orléans c’est un peu moins «  Oh Happy Day » et un peu plus «  Jazzy Hands » !
St. Augustine est très connue pour ça, et on était donc pas tout seuls à venir de loin : dans la nef que des blancs, au delà, que des blacks. Et le staff, bien rodé des inconvenances habituelles, t’annonçait directement les commandements : pas de téléphone, pas de flash, pas de vidéo ! Ah pis y aura deux quêtes ! Tout le monde reste ? Envoyez le padre !

Le curé et trois enfants de choeur ont ensuite pris dix minutes pour remonter l’allée sous un air bien jovial. Il a salué obséquieusement l’auditoire pis s’est lancé direct dans le sermon. Celui-ci portait sur Elizabeth et son incapacité à tomber enceinte. Ah chouette ! Quelque chose qui nous touche tout particulièrement et nous remue régulièrement. La solution du prêtre : l’espoir et la confiance aveugle en Jésus Christ notre seigneur ! Car il a dit au mari d’Elizabeth: « Tu vas avoir un fils si tu remets pas en cause ma parole, tais-toi donc tu vas avoir un fils ! ». Pis machin a fermé sa gueule et ça a pas manqué, papa dans l’année !

Après l’intermède musicale : lecture de « la lettre de Monseigneur ! ». L’archevêché étant sous le coup de plusieurs allégations d’abus sexuels, le Barbarin local avait tenu à s’adresser à ses ouailles. Et le troupeau, tout comme les trois gamins en chasuble, écoutait patiemment, sans trahir aucun ressenti, habitué sans doute à ce nouveau genre de liturgie. Le prêtre a ensuite tenu à rassurer ses paroissiens : ils pouvaient évidemment venir le voir après la messe ! Il écouterait leurs questions, à défaut d’y répondre.

Chanson !

À la fin de la messe, on demande à ceux qui fêtent leur anniversaire cette semaine de se lever. Une humble petite vieille à chapeau (très très vieille genre « Rosa Park est vivante ? ») et qui a reçu avant la messe des bisous et des hugs de toute la congrégation s’est hissée sur ses petits bas gris. Tout le monde l’a applaudie avant de lui chanter un « Happy Birthdaaayyyyyy, Happy Birthday tooooo youuuuu ! ».
Après c’était le tour des anniversaires de mariage, on leur a pas chanté Happy Birthday mais ils ont eu une petite interview du prêtre.
Devant nous, un couple bien mis et que les deux fistons avaient rejoint juste avant le début de la messe fêtaient leur trente-deux ans de mariage. Ils n’ont participé à aucun rituel pendant la messe, et ne devaient donc pas être très catholiques, mais ils étaient contents d’être là.
Leurs fils, eux, avaient l’air d’en chier. Ces deux jeunes rouquins avaient un peu trop profité de NOLA la veille et peiné à s’habiller convenablement pour rejoindre papa-maman à la messe de 10h.
Régulièrement pendant l’office la mère avait tenté de se rassurer en levant un pouce timide au gamin quand il se prenait la tête dans les mains. Il hochait alors sa tête douloureuse puis se redressait en regardant au loin.

On laissera chacun interpréter librement cette parabole.

Chanson !

Ici les trams sont tous très vieux et très carte-postale. C’est généralement une des premières photo que sort Google après les balcons et les cimetières. Ce tramway-là était assez prisé des touristes puisqu’il les emmenait dans le Garden District, le quartier de la ville haute avec les plus grosses maisons dont celle de John Goodman et Nicolas Cage.

En tant que bons touristes on était dans ce tram même si on poussait pas jusqu’à Garden, on allait voir une Second Line.
À la Nouvelle-Orléans vu que beaucoup de gens sont pauvres et partagent le système social le plus pourri de tout l’hémisphère nord, on monte des Social Clubs.

Chaque membre verse une cotisation et bénéficie de l’aide des autres membres quand il est dans la merde ! Par exemple quand tu meurs (Dieu sait que t’es dans la merde), le club va payer ton enterrement, ta sépulture, etc… Il y a des club sociaux pour toutes les classes, mais les plus funs c’est quand même, comme toujours et on y reviendra, ceux des plus pauvres. Chaque année, le club fête son anniversaire le même dimanche. Chaque club a un dimanche, et vu le nombre de gens dans la merde, tu peux être sûr que tous les dimanches, à la Nouvelle-Orléans, il y a une second line de Social Club.

L’anniversaire c’est pas juste un bingo dans une salle des fêtes. Non, les membres élaborent un costume sophistiqué et commun à tous. Ensuite ils paradent et dansent sur ou au devant de chars. Tu as généralement deux ou trois chars. Chaque char est suivi par des danseurs et un brass band qui forme la première ligne et derrière ça, un groupe de badauds — comme nous deux par exemple — qui suivent. C’est la seconde ligne, la Second Line!

Au milieu de tout ce monde qui suit, des tas de marchands ambulants et pas très officiels tirent ou poussent péniblement leurs énormes chariots en essayant de pas renverser leurs trois glacières scotchées ensemble. Ça vend des bières, des cocktails, des hot-dogs ! Il y a aussi des pick-up improvisés en food truck avec un menu un peu plus développé et qui suivent de près tout ce beau cortège.
C’est un rythme assez soutenu hein, rien à voir avec la Marche pour la Planète mais il y a plusieurs arrêts pour se remettre. À chaque pause les marchands se trouvent une place et vendent aux suiveurs qui profitent de la musique des chars ou du brass band.

Nous on allait à la parade d’anniversaire du club des Women of Class.
Beaucoup de rouge, trois chars de Women crachant de la musique récente et pas toujours à mon goût et un seul brass band. Mais sinon, tout comme expliqué plus haut !

La Second Line ça fait partie des trois choses renommées mais pas forcément touristiques que je voulais vivre à la Nouvelle-Orléans. Reste un Jazz Funeral et les Mardi Gras Indians !

Ensuite, on a profité de l’endroit pour allez voir le cimetière Lafayette Cemetary n°1, oui ici les cimetières sont numérotés comme des parfums Chanel.
En face du cimetière il y avait un petit centre commercial et un café où on a pris une pause repos/pipi/caca.

Je pense que le café contient les toilettes les plus populaires de Louisiane, toute la ville se retrouve là dans la queue du couloir. Faut compter minimum une demi-heure avant de tout lâcher. Faut croire que tous les touristes à cimetières, comme moi, se mettent à avoir un débit compte-goutte dès que l’envie dépasse le soutenable. Alors oui c’est long pour libérer tout ça, et c’est donc très long avant de pouvoir libérer le chiotte.

Ah oui les cimetières ! Ceux d’ici sont célèbres, ils sont surélevés pour éviter les inondations, ce qui donne des petites commodes en pierre bien connues de l’imaginaire Voodoo où l’on range ses morts en étagère.

Ce qui m’a frappé dans ce cimetière avant même d’y rentrer c’est son mur d’enceinte. Il est blanc, tellement blanc, et vieux, tellement vieux, et de ses grosses fissures s’échappe une végétation verte, tellement verte. J’ai vu directe la métaphore, j’ai vu ce que j’allais ressentir dans ce cimetière. On est rentré quand même.

Dedans, pas déçu, les tombes me parurent moins blanches que les murs mais toute aussi virginales, certaines en revanche libéraient aussi une végétation consolante. En vérifiant les photos plus tard, je me rendrai compte que mes souvenirs s’étaient mélangés avec mon cimetière à moi. Plus les détails différaient et plus je pensais à Tassin. Sauf peut-être en voyant les guides déguisés.

Il y en avait plusieurs, aguichant les clients ou trimbalant leur petit groupe de curieux. Je me suis demandé ce que ça ferait d’aller voir mes morts au milieu des touristes. Mon cimetière, en tout cas en taille, correspond à celui-là, et je pense aux autres cimetières historiques de la Nouvelle-Orléans. Avec la mort récente de ma grande-tante, la doyenne familiale, notre petite crypte à nous, et qui selon moi n’a rien à envier à leur commode à eux, continue de se remplir tranquillement des visages que j’ai aimés. C’est dans ce caveau que dorment mon grand-père, ma grand-mère, maintenant sa soeur, et puis mon père.

C’est une tombe à peu près carrée, surmontée d’une vasque haute d’un mètre environ aux allures de coquillage un peu grotesque. Dans le fond, la stèle porte ses quatre noms dorés. C’est là qu’ils restent tous, loin des touristes et loin de moi. J’éprouve pas vraiment le besoin de m’y rendre, mais d’y penser, beaucoup. Je suis né à Tassin-la-Demi-Lune. Et pendant longtemps c’était juste un nom de banlieue sur un livret de famille, c’était un séjour à la maternité, mes trois premiers jours, c’était là où vivait ma mère, et accessoirement son gynéco. C’est aussi là où vivaient mes grands parents morts trop tôt et dont cette grande-tante restait jusqu’à cette année, pour moi, le prolongement affectif. C’est aussi ce qu’on me rappelle quand je joue un peu trop le Lyonnais : que je suis pas né à Lyon — à trois jours près.
Mais maintenant pour moi Tassin c’est un cimetière. C’est pas la mort, c’est pas triste, mais c’est là qu’ils resteront tous, c’est mon petit mausolée que je trimballe dans ma tête. Et quand me viennent ces tourments mélancoliques, quand ces absences secouent brutalement mon quotidien et qu’il faut bien les contenir, et bien je pense à la vasque de Tassin et tout ce — ceux, qu’elle contient. Et comme j’y suis né, à Tassin, c’est là que j’aime m’imaginer retourner, et ce peu importe où finiront véritablement mes membres.

Ces temps-ci je pense plus à la sépulture que Nicolas Cage a déjà acheté pour lui dans un autre cimetière de la ville.

On a ensuite repris le tramway sur l’avenue St. Charles, toujours plein de touristes qui rentraient du Garden District.
Au bout de quelques arrêts, la conductrice, certainement comme tous les jours à la même heure, ne prenait plus de nouveaux voyageurs. Trop plein le machin !
Mais le tram devant nous est tombé en panne, forçant le chauffeur à abandonner tout son équipage sur le quai étroit de l’avenue St. Charles.
Et là, tout d’un coup, notre pilote a du se prendre de pitié pour ce groupe de touristes blancs échoués au bord d’une des rues les plus riches de la Nouvelle-Orléans, et ce par 22 degrés ! Et hop que je te fais monter tout ça par-dessus mon tram déjà bondé. On s’est retrouvé donc bien serré, et croyez-y-donc-pas, le touriste privilégié, debout, n’est pas forcément des plus aimables en dehors de son environnement habituel, comprendre sa bagnole et sa banlieue.
Plutôt ronchon le papa menant sa petite famille à NOLA pour voir son équipe de foot favorite.

Un peu plus loin une habitante du coin, se voyant refuser la montée pour la quatrième fois ce soir-là, s’est mis en tête de nous poser un joyeux geste de désobéissance civile en se plantant devant le tramway.
Et vas-y que le papa et ses congénères lui gueulaient de dégager de là ! Je me suis demandé comment avait pu réagir le papa blanc il y a cinquante ans bloqué dans le bus de Rosa Park… Pas mieux je dirais.
Je peux pas vraiment donner mon avis sur le bien fondé du geste de la madame, alors qu’on a de toute façon pas pu entendre ce qu’elle disait depuis le fond du train, mais si c’est son quotidien que de travailler toute la journée au salaire ridicule que les gens de sa classe peuvent attendre ici ; et de se voir, le soir venu, refuser l’accès au transport public et donc à retrouver son logis avant la nuit ; et tout ça à cause de ces touristes qui ont certainement donné plus à la ville de Papeete après le tsunami qu’à la Nouvelle-Orléans après Katrina… Si ces soirées c’est ça, il me semble qu’à un moment, plutôt que de planter des balles de semi-automatique, comme le ferait un blanc, dans chacune des têtes de ces cons de vacanciers peu empathiques, je me planterais devant le 4ème tram de la soirée qui refuse de me laisser monter. Et de là, je réclamerais que les élus de la Nouvelle-Orléans s’assurent que les habitants dont les taxes et le labeur financent les transports publics puissent en bénéficier autant que les touristes dont le flot d’argent s’arrête aux bars et casinos sans jamais atteindre les infrastructures.

Bref, on est descendu quelques arrêts avant le nôtre pour voir que finalement, la madame, après les interventions pacifistes d’un employé de la RTA, puis d’un policier, avait finalement pu monter dans le tram.
Les touristes, comme nous, ont finalement abandonné en descendant du tram pour finir à pied. Il était dès lors difficile de continuer de lui refuser la montée, la madame avait gagné.

Il y a un parc public au-dessus du French Quarter. Il y a deux choses importantes liées à ce parc et on a pu voir les restes physiques qui les illustrent.
Congo Square c’est un endroit historique où au 18ème siècle, les minorités de couleur de Louisiane pouvaient se retrouver librement. C’est pas anodin à cette époque-là et c’est assez unique à la Nouvelle-Orléans, une ville très cosmopolite où se mélangeaient, créoles, noirs libres, noirs esclaves, amérindiens, européens et blanc-bec du coin.
Sur Congo Square, en plus de marchander et discuter, on pouvait évidemment faire de la musique, de la musique autre que les bourrées codifiées de l’homme blanc. Chacun bricolait un machin vaguement inspiré d’un instruments de sa région d’origine et en jouait au milieu des autres. Beaucoup d’instruments africains criaient au-dessus des arbres bien taillés du Square. Cette musique libérées des codes créatifs imposés par les blancs, associés au blues déjà populaire dans les classes pauvres du Sud, donnera naissance au jazz et à tous ses enfants : swing, rythm and blues, bebop, rock & roll etc…

Et l’homme qui a le plus émancipé le déjà très libéré jazz se tient, trompette et mouchoir à la main, au centre du parc qui porte son nom. Alors après avoir vu Congo Square, où par chance quelques locaux jouaient du tam-tam sous les phares de leurs bagnoles (à défaut des lanternes de l’époque), on est allé observer la statue du Pops de New Orleans, Louis Armstrong.

Bon le machin est en bronze et mal éclairé, alors plutôt qu’une critique sculpturale, est-ce que ça serait pas le moment de _dropper _sa petite science sur le bonhomme ? Je connais pas grand chose, on serait déçu, mais j’ai quand même pu retenir peut-être l’essence du phénomène après quelques bouquins et documentaires plus cette visite du berceau.

L’homme blanc impose des codes à tous et les arts n’y coupent pas. Pour un blanc, si tu suis les conventions artistiques, t’as peut-être une infime chance de devenir populaire, de vivre de ton art, d’avoir ta statue dans un parc.
Mais jusqu’à aujourd’hui, en suivant les codes de l’homme blanc, les hommes et les femmes noirs, et ça vaut pour certaines autres minorités choisies, n’ont aucune chance d’atteindre tout ça. Un noir n’a pas besoin de connaître les règles du jeu puisqu’il a pas le droit de jouer: disqualifié pour faciès à l’entrée de la salle.

On aurait jamais vu un musicien noir se faire applaudir à la fin d’une opérette au XIXème, pas plus qu’au XXème.
Alors, prisonniers de toutes les autres lois, la personne de couleur, esclave ou libre, se trouve affranchie de celles qui touchent à l’art en général.
Elle fait ce qu’elle aime. Elle improvise des solos, n’écrit pas forcément ses compos, cale des notes improbables dans une mélodie bien rodée et plus tard, comme Louis, tease ses instruments, leurs crie des « Oh Yeah » des « Hein hein » pour finir par prendre la place d’un instrument avec sa bouche nue: Zip-a-dee-daaaaaaaa-ziiiiiiii! 🤨

Et là, il me semble que n’importe quel blanc limité par les codes crierait à la triche, mais si tu t’en tamponnes des convenances à machin, tu peux simplement entendre cette confiance alors rarement égalée s’envoler au-dessus des grésillements des disques d’Armstrong, Thelonious Monk, Sonny Rollins et autre joyeux name dropping !

Mais pourquoi une statue d’Armstrong ? Parce que d’une il est d’ici, et de deux, il faut toujours un porte drapeau. Armstrong a su rassurer l’homme blanc en évitant de trop parler des conflits de race et on le lui a reproché. Mais c’est surtout, pour moi, une des premières figures à avoir diffusé massivement cet affranchissement des codes. 
On trouvera jamais le premier à avoir scatté. Mais on sait qui a balancé son scat dans des milliers de magasin de disque dès les années 20, on sait qui a perfectionné et popularisé la pratique: c’est le mec qui a un parc et un aéroport ici, le Charles de Gaulle local !

Encore une fois, le scat c’est pas juste des sons inintelligibles posé sur un tempo, tout comme le jazz ce n’est pas juste des solos improvisés vaguement contenu par un ensemble, c’est un affront à trois cents ans de convenances musicales, glissé entre les dents de ceux auquel on refusait tout sauf la musique.

Armstrong est un des jazzman les plus célèbres peut-être parce qu’il a su divertir l’homme blanc sans trop lui rappeler à quel point il lui était supérieur, sans trop le faire culpabiliser aussi. Ou alors parce qu’il se moquait des codes des blancs autant que de ceux des noirs…

Dans tous les cas, libre à soi de célébrer l’icône comme on veut mais en regardant une statue, on se mouille pas trop.

Lundi c’est Bayou. On attendait le guide devant une devanture de bar aux abords du French Market dès 10h du matin. Il y avait une famille d’asiatiques déjà sur place.
Un van tout déglingo s’est garé peu de temps après devant notre petit groupe.
On avait un peu peur de faire la visite avec un Safari Joe qui nous ferait son Jungle Cruise en agitant des saucisses pour attirer les crocos. On a donc pris une compagnie qui organise des tours du Bayou « écolos », faut comprendre « en kayak et sans nourrir la faune ». Eh ben pas déçu ! Mike était blasé de devoir répéter tout le temps les mêmes choses et utilisera systématiquement les adjectifs « ennuyeux » et « rébarbatif », dès qu’on abordera les consignes de sécurité. My man!

Malgré son cynisme rassurant, le petit chef de tribu a quand même lancé un petit tour des présentations. Les asiatiques ne faisaient évidement pas partie de la même famille comme le suggéraient mes préjugés gênants, deux d’entre eux, en couple, venaient de Shanghai, les autres, c’était une mère et son fils de Houston que Mike tentait de rassurer : leur ville était pas si pourrie qu’on le croit. Un couple bien propret de LA s’était rajouté ainsi que deux locales, une mère et sa fille.
Donc, le van, Mike, tout ce petit monde et nous-même prirent la route de la réserve naturelle du Machak. C’était notre seule excursion en dehors de la ville prévue, on était donc assez excités par ce qu’on voyait de la fenêtre du van, même si pour le gros du trajet on s’est tapé une route sur pilotis qui traversait, en ligne droite, vinght kilomètres de marécages. Il y a eu un arrêt station service pour récupérer les kayaks pendant lequel notre petite troupe a pu visité le shop plus ou moins exotique selon les provenances de chacun.

Arrivé à l’embarcadère on a attendu que le guide débarque tous les kayaks tout seul, pendant que le fils texan faisait des ricochets. Sa mère a voulu essayer un peu trop près des kayaks.

Évidemment, on va pas marcher dix bornes pour s’enfoncer dans le Bayou avant de poser les kayaks, donc on appareille très près de la route, à coté d’un pipeline, et on passe sous l’autoroute surélevée qui nous a amené là, impatients de ne plus entendre le bruit des bagnoles.

C’était l’hiver, alors la faune est pas aussi présente qu’au printemps ou en été, bye bye Gator!
Mais on a pu quand même faire notre première rencontre avec la flore. C’est finalement des arbres assez communs d’Amérique du nord, des cyprès, des tupelos, des chênes !
Mais ils ont la particularité d’être en partie submergés et recouverts du chiendent local, la mousse espagnole que les créoles appellent « barbe de grand-père ».
C’est ce qui donne aux paysages du Bayou cette allure un peu « filasse », chaque arbre y est recouvert d’une mousse grisonnante qui pend comme des barbichettes.

On a d’abord remonté une grande ligne droite en regardant zigzaguer d’une rive à l’autre les novices du kayak, puis pris un ou deux tournants en évitant le kayak de Houston fils qui s’agitait n’importe comment.
Là, Mike, le guide, s’est calé entre deux arbres un peu plus gracieusement que ne l’avaient fait les novices quelques minutes plus tôt, pour nous parler du coin. On a d’abord entendu des explications sur les arbres, les cyprès donc, pis les tupelos, comment ils vivent dans l’eau, etc… Dans le Bayou certaines des racines des arbres ressortent de l’eau comme des stalagmites sans que les biologistes aient jamais vraiment su pourquoi, mais ça fait son petit effet.

Dès que Mike s’arrêtait de parler un mec qui nous avait rejoint directement à l’embarcadère pointait son bras vers des branches en demandant quel arbre c’était. Et parce qu’à un moment j’ai eu le malheur de poser une question sur les tupelos, Francis l’arboriste s’est mis à croire que j’adorais ça, les tupelos ! Toutes les vingt minutes il m’en montrait un, et Mike infirmait avec un nom latin.

La deuxième pause fut plus sérieuse, puisque notre guide pas touristique du tout nous a expliqué non pas le système digestif des crocodiles, mais plutôt la situation écologique du coin.
Et vas y que la Louisiane perd, attention métaphore JT de 20h, un stade de foot de marécages toutes les 15 minutes !
C’est dû certes au réchauffement climatique mais surtout aux compagnies pétrolières qui forent au large et creusent des canaux pour acheminer tout leur bordel. La Louisiane est criblée de plateformes pétrolières (Deepwater Horizon et sa marée noire monumentale, yep, Louisiana’s own). Et comme aucune des solutions mises en avant n’incluent une ponction financière aux principaux bénéficiaires du chaos, ben faut pas s’attendre à ce qui se passe grand chose. Des questions ?

— Cet arbre-là ? C’est un tupelo ?

Pour se remonter le moral on a quand même eu la chance de voir un bébé alligator sur le retour. En hiver c’est pas banal visiblement. Alors… contents !

Ensuite, remonté dans le Van, tout le monde avait l’air heureux de son aventure. Tellement qu’ils ont acheté plein de chips trop épicées à la station service et offert la dégustation ! Yep, on était prêts pour vivre de grandes choses ensemble !

Et bien d'autres