Je suis dans un train américain. Tous les passagers et leurs litres de café vibrent comme pris d’une crise de paludisme généralisée.
Le train aura été l’une des rares nouveautés de ce voyage à New-York. Je ne sais pas ce qui me ramène toujours aux premières fois, mais seul, sans l’influence des inclinaisons de gens m’accompagnant, à New York ou à Tokyo, je me recale instinctivement dans les tracks formées par mon premier passage. Celui de New York date de 97.
C’était une chambre juste au-dessus de Time Square, surplombant la 7ème avenue. Au levé du jour tu pouvais voir une rivière de minuscules taxis jaunes rouler vers le sud. En face, l’affiche gigantesque de Cats bouffait les 5 étages d’un vieil immeuble pour te rappeler ou t’étais. Et dans la salle de bain ou sur le lit d’à côté, mon père avec qui je ne me retrouverai plus jamais seul aussi longtemps.
Il y avait des restaurants à thème dans le même block qu’un sex shop, et sous une pile de cartons tu pouvais deviner le pied d’un clodo. Disney venait tout juste de racheter l’Amsterdam Theatre et commençait le programme immobilier qui transformerait ces 6 blocs percés par Broadway en parc d’attraction Vegasien.
Alors comme avoué plus haut, c’est toujours vers cette expérience-là que je me tourne, un hotel près de Time Square, et des promenades quotidiennes sous les LED de pubs démesurées et les marquises des théâtres de Broadway où se jouent les nouvelles et les anciennes comédies musicales. Cette fois j’ai voulu comparer l’ancien Broadway et le nouveau.
Le premier acte, c’est une comédie musicale dans son genre le plus ringard : l’adaptation. Attention, pas l’adaptation d’un livre comme “Les Misérables”, ou d’un Disney comme “Le Roi Lion”, non, l’adaptation d’un film lui même adapté d’une pièce, et pas n’importe lequel: « Il était une fois dans le bronx (A Bronx Tale) » réalisé par De Niro en 1990.
Doit pas être le carton du moment vu le rabais de 40% offert sur premier rang, mais ça a fait pas mal de bruit quand c’est sorti en 2016. Alan Menken (Little Shop of Horror, Little Mermaid, Sister Act) faisait la musique et De Niro co-réalisait.
Donc yours truly, pas peu fière de sa belle affaire, se retrouve le menton dans la scène à regarder scintiller les postillons de l’une des plus vieille institutions artistique du continent: The Musical!
C’est difficile d’imaginer l’influence du film quand toute cette bande de joyeux truands chante et danse sur scène avec ce sourire tellement significatif de la fausse joie de vivre États-Unienne. Mais j’y suis, j’ai choisi, et je suis tellement prêt de leurs jupes et braguettes qu’il serait ingrat de ne pas analyser la performance.
Surtout que si on observe de prêt ce sentiment de supériorité ressenti par tout européens devant les claquettes et les lancés de genoux d’un Jean Valjean ou d’un parrain de la mafia, si on s’interroge vraiment sur les raisons de notre dénigrement, on réalise vite qu’elles ne sont pas vraiment fondées.
On met en avant Beaumarchais ou Rossini en oubliant le trames des pièces du premier et des adaptations musicales du deuxième. Le Barbier de Séville ou le Mariage de Figaro c’est quoi si ce n’est une comédie de boulevard bien chantée ? Des portes qui claquent, des amants dans le placard ou sous le balcon, et le barbier, symbole du peuple qui se gaussent de ce beau monde bien habillé. Je parle même pas de nos grands héros: Molière et Guitry. On est en plein dans le Vaudeville, et c’est ce genre-là qui dominera et vaincra. Le genre de l’ouvrier payeur qui préfère se moquer de sa classe dirigeante plutôt que la regarder défier son père pour mieux baiser sa mère, tout ça dans un français tellement ampoulé qu’il sonne comme le plus élitiste des patois.
— Ma vengeance est perdue s’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue. Andromaaaaaaaaaquue!
Bref, après cette mise au point sur l’arrogance infondée des européens, je retourne dans mon siège, le cou tiré vers les entre-jambes de ces acteurs de seconds rôles, qui pour certains m’évoquent vaguement l’un des suspects dans une séries policière bidon.
Faut quand même reconnaître que leur jeu est parfait. De si près tu peux voir toutes les expressions faciales, et elles sont bien là. Même quand l’attention s’est portée sur le gars d’en face, machin continue de jouer de ses lèvres et de ses yeux l’émotion mise en pause par la réplique du voisin.
D’une scène à l’autre ils changent de costume et de personnage, ils jouent des pères, des fils, des passants, des flics. Ici des chauffeurs de bus sacrifiant toute une vie pour le future de leur marmots. Et aussi ces voyous qui séduisent et chaperonnent ces mêmes marmots. Tout ça entre deux chansonnettes rigolotes !
Les américains savent jouer, enfin en tout cas leur acteurs ! Et Broadway c’est un peu le bouillon où naissent et meurent, éclosent et fanent, stagnent dans l’ombre aussi, les meilleurs talents théâtraux de la planète. Rien que pour ça, ça vaut le coup d’aller se coller dans leurs genoux un dimanche après-midi. Ça vaut le coup d’aller observer les rictus parfaitement ajustés de la star montante à l’avant scène ou du cinquantenaire inconnu derrière elle qui n’aura jamais rien percé d’autre que ses souliers.
Je ne sais pas si c’est l’admiration sincère que le pays éprouve pour la profession où l’absence d’institutions ringardes comme notre Comédie Française pour qui l’acteur doit caricaturer l’humanité plutôt que de la retranscrire humblement. Mais ici on a une attente pour le jeu réel, pour la transposition quasi-parfaite des expressions et du parlé de l’être humain. Ça tient peut-être plus de l’anthropologie que de l’art, mais le fait est que n’importe quel danseur de deuxième plan d’une comédie musicale New-Yorkaise jouera toujours mieux que Francis Huster, et ça, ça mérite le respect.
Oui ils donnent à leurs théâtres des noms de dramaturges classiques comme Eugene O’Neil et foute “La Reine des Neiges” dedans, mais ils sont dans le vrai dans leur quête naïve de l’expression populaires. Moi j’aime ça.
Pour le deuxième acte, j’ai transgressé ma nostalgie complaisante pour découvrir la nouvelle scène New-Yorkaise, celle immersive où le spectateur est plongé avec les acteurs dans l’Hotel entrepôt de Sleep No More. L’attraction perd un peu de vitesse pour les locaux mais reste l’arrêt incontournable pour l’intelligentsia touristique européenne.
– Comment ça t’es pas allé voir Sleep No More ?
C’est sans spoiler que de dire que Sleep No More n’est pas du théâtre immersif mais bien de la danse immersive. Et l’immersion est totale si tu te prends au jeux des dizaines de spectateurs qui cours après les acteurs comme des nuées de moineaux.
La promenade est délicieusement lugubre, les pièces sont nombreuses et parfois immenses, il n’y pas tellement de portes que tu ne peux pas pousser. Et parfois, rarement au début, plus souvent après, tu tombes sur des comédiens en pleine performance. Autours d’eux, dix personnes si t’es chanceux, sinon une vingtaine de curieux près à déguerpir si les acteurs décident de transporter la scène un peu plus loin.
Évidemment qu’il y a des moments un peu plus personnels: quand t’as décidé de pas courir, quand t’es resté avec ce personnage qui paye pas de mine et finit par faire un truc extra-ordinaire. Mais ma deception personnelle vient de l’absence de voix. Je m’attendais simplement à du théâtre et pas de la danse. Je m’attendais à tomber sur des discussions violentes et personnelles au détour d’un couloir et qui, mises bout à bout, de personnages en personnages, de pièces en pièces, de cris en cris formeraient une trame incomplète mais mystérieuse. Je m’attendais aussi, comme dans le « bronx » trois heures plus tôt, à vivre ses moments de jeu d’acteur à quelques centimètres des comédiens, mais encore une fois, je n’ai vécu que des moments de danse muette. Des ébats par la danse, des combats par la danse, des viols par la danse, des meurtres par la danse… Difficile de ressentir le mal-être si souvent évoqué de Sleep No More quand tout ce que t’entends ce sont des chaussures raclant la terre battue et des corps qui s’empoignent. J’étais, à ma grande déception, pas si loin de la « Musical » de l’après midi (en moins rigolo quand même).
Mon meilleur moment restera la descente d’un long escalier lugubre, seul, alors que je venais d’abandonner un personnage devenu trop populaire. J’avais parcouru la moitié des marches quand survient face à moi un couple de comédiens main dans la main. Ils me regardent comme la mort, leurs yeux m’avalent tout rond alors que je m’écarte pour laisser passer cette apparition. Il faut que je les suivent, ils m’ont envouté… ben c’est sans compter avec les vingt-cinq couillons qui jouent au petit train derrière depuis vingt minutes. Ma présence en haut des marches vient de leur coûter les premières loges et ça se ressent… J’ai bien soutenu le fight des groupies pendant plusieurs minutes avant de croiser un autre acteur que ne suivait pas tout un pays.
Ça s’apprécie sûrement en plusieurs fois, on imagine pas qu’Emursive ait désigné l’expérience pour que l’on s’en lasse en une seule fois. Et puis c’est pas plus mal, ça se suit et se redécouvre comme une série ou un tableau mais tout le monde ne vit pas à New York, tout le monde a pas non plus le budget pour y retourner. Et pour ceux-là, les moments wouaou, mise à part la finale vraiment prenante et heureusement immanquable, risquent de se limiter à une ou deux scenettes. En espérant que l’ambiance Fight Club Black Friday ne les détourne pas trop vite d’un potentiel “moment”.
Une journée en deux actes donc ! Le premier un peu ringuard mais bien rodé et le deuxième plus innovant et donc encore maladroit. Mais on peut déjà deviner ce que sera le genre survivant du théâtre immersif, celui que nos arrières petit-enfants déposeront sur le piédestal du bon goût.
Ça sera sûrement dans un hotel aussi. Des actrices agripperont leurs jupes en dévalant des escaliers et derrière elles, à la traîne, une foule de spectateurs hilares encore grisée par la tête du cocu laissé dans la pièce précédente et pressée de voir qui détroussera la baronne dans prochain couloir.